Restauration de Meubles

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Meubles régionaux -

Les commodes tombeaux

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Ciseau à bois


LES COMMODES TOMBEAUX

          Rappelons brièvement les circonstances dans lesquelles elles sont nées et l'état d'esprit de création des ornemanistes et des ébénistes du temps de la Régence. Il est très difficile de dater et de situer l'apparition des commodes en tombeau par rapport à d'autres types de commodes. Cette difficulté tient d'une part à l'absence de connaissances des maîtres-ébénistes due elle-même à l'inexistence ou à l'imprécision des archives, même si l'usage des premières estampilles se pratique dès avant 1715 ; d'autre part, les quelques documents existants montrent que des commodes apparues vraisemblablement au début des années 1700 ont continué à être produites durant dix ou vingt ans, période au cours de laquelle d'autres prototypes sont nés. Cela explique les errements, voire les contradictions, entre les ouvrages d'histoire de l'art quant à l'apparition de la commode en général. Les inventaires ou les comptes de livraisons des Bâtiments du Roy mentionnent l'existence de "bureaux", de "commodes en bureaux" puis enfin de "commodes".

          Que faut-il entendre par là ? Aucune définition n'a pu évidemment réunir l'unammité. Une seule chose est sûre : c'est la livraison effectuée en 1708 par André Charles Boullc le père pour la chambre de Louis XIV au Grand Trianon, d'une paire de "bureaux".



La paire de bureaux livrée par Boulle en 1708 pour la chambre de Louis XIV au Grand Trianon est la première commode datable avec précision
La paire de bureaux livrée par Boulle en 1708
pour la chambre de Louis XIV au Grand Trianon est
la première commode datable avec précision


          Mais cette livraison ne "signifie pas que les "bureaux" apparaissent à cette date, et les inventaires après décès des grands ébénistes de la fin du règne de Louis XIV risquent de révéler des surprises... Indépendamment des archives on constate aujourd'hui, en examinant les meubles. qui subsistent, que les premières commodes qui sont apparues sont vraisemblablement celles qui possèdent des formes "droites", appelées "communément "mazarines"



Commode mazarine ornées de quatre consoles disposées à 45°
Commode mazarine ornées de quatre consoles
disposées à 45°


appellation due à leur décor, à leurs quatre angles, de consoles disposées à 45° proches de celles que l'on voit sur les bureaux dits "mazarins" apparus vingt ou trente ans avant. Il est probable que ces commodes soient nées à la fin du XVII ème siècle avec les grands ébénistes de la fin de la première partie du règne de Louis XIV, si mal connus encore de nos jours malgré les recherches récentes.


          Elles ont continué à être produites durant le premier quart du XVIII ème siècle ; mais leur décor a alors évolué :


- disparition des consoles aux angles pour l'adoption de profil arrondi ou à angle droit,


- abandon du décor de bois noir ou des marqueteries pour préférer les placages unis, notamment d'amarante.


          Si ce type de commode, ainsi accompli, perdure jusque dans les années 1720, viennent s'interférer à partir de 1708 des prototypes aux lignes courbes. Il ne peut donc pas y avoir de classement chronologique précis. On peut toutefois penser que c'est grâce au génie d'André Charles Boulle, inventeur de formes, que la commode galbée apparaît au début du XVIII ème siècle. Toutefois, il faut insister sur le fait que le galbe donné au meuble ne se situe qu'au plan vertical. Le chantournement de la façade, bombé, en arbalète, en creux ou en entonnoir, n'apparaîtra que vers 1725-1730.
          Donner un galbe, au plan vertical, à la commode, va obliger les ébénistes à se livrer à de nombreux tâtonnements avant d'arriver à un type accompli, ce qui donne aux meubles de cette époque un charme, une originalité, voire un archaïsme incomparables, même s'ils sont parfois un peu lourds. L'exemple de la paire de "commodes" livrée pour Louis XIV en 1708 suffit à le prouver à lui seul. Quelques dessins d'ornemanistes bien connus comme Jean 1 er Bérain, Gilles Marie Oppenordt ou Claude Gillot, permettent de comprendre quel était l'état d'esprit des créateurs de la Régence. Ils montrent leur goût pour des formes pleines, renflées par en haut et resserrées par en bas comme des tombeaux. A propos de tombeaux, il suffira d'examiner quelques projets d'iceux par Gilles Marie Oppenordt.



Projet de tombeau par Gilles Oppenordt Projet de tombeau par Gilles Oppenordt
Deux projets de tombeaux par Gilles Oppenordt


          On ne peut qu'être frappé par le caractère plus baroque que classique de ces tombeaux. Mais n'oublions pas que Gilles Marie Oppenordt fut pensionnaire de l'Académie de France à Rome de 1692 à 1699, et qu'il fit de nombreux dessins lors de son séjour italien qui l'imprégneront tout au long de sa carrière. Examinons maintenant quelques exemples des réalisations des ébénistes à partir des projets des ornemanistes qui subsistent à ce jour, que nous avons répartis en trois grands chapitres, les commodes "tombeaux", les "tombeaux renversés" et les commodes "tombeaux à pont".


Particularités de construction



          Vouloir adopter un profil "tombeau" a obligé l'ébéniste à se livrer à certaines prouesses techniques plus empreintes d'archaïsme que de modernisme :


- pour pallier le resserrement de la partie inférieure de cette commode,



Numéro 1 : commode à quatre registres de tiroirs en placage d'amarante chenillé Numéro 1 : commode à quatre registres de tiroirs en placage d'amarante chenillé
Numéro 1 : commode à quatre registres de tiroirs
en placage d'amarante chenillé


son auteur a dû construire le bâti arrière en retrait, et même le diviser en deux parties comme deux marches d'escalier.



Ces croquis montrent les montages arrière du bâti des commodes Numéro 6 et Numéro 7, très archaïsants. En haut, le montage de la commode Numéro 6; en bas celui de la commode Numéro 7
Ces croquis montrent les montages arrière du bâti des commodes
Numéro 1 et Numéro 2, très archaïsants.


          Les bois dont est composé le bâti sont essentiellement des planches de sapin avec des montants en noyer


Numéro 2 : commode à trois registres de tiroirs en placage de palissandre ronceux
Numéro 2 : commode à trois registres de tiroirs
en placage de palissandre ronceux


ou en chêne avec des morceaux de sapin (voir le croquis) à certains endroits.

- les tiroirs de ces deux meubles nécessitent également quelques commentaires sur leur construction. En effet, dans un souci d'harmonie, l'auteur de ces commodes a voulu découper l'extrémité des tiroirs, de telle façon qu'elle épouse la forme du galbe des profils du meuble.


          De là, se posait un problème technique qui pouvait être résolu de deux façons dans la construction des planches latérales à l'intérieur des tiroirs (voir le croquis) :

- soit les monter à fleur des extrémités en s'obligeant, dans ce cas, à leur donner un profil concave ou convexe suivant la découpe - technique que l'on rencontre sur les commodes de port bordelaises ou sur certains meubles germaniques,

- soit les monter légèrement en retrait, ce qui rend possible, dans ce cas, l'utilisation de planches planes. La technique utilisée pour ces deux commodes est celle du montage en retrait. La première technique existe sur d'autres très beaux meubles comme la commode Machault, en marqueterie.



La commode du président Machault
La commode du président Machault


          Signalons en outre une petite particularité des tiroirs qui illustrent par ailleurs la fabrication classique de cette époque : façade en sapin, fond en noyer, planches latérales en peuplier blanc appelé "grisard" dont l'arête est légèrement chanfreinée comme on le voit chez Doirat et Cressent (on entend souvent que le "grisard" n'a été utilisé qu'au XIX ème siècle. Or nous l'avons souvent rencontré sur des meubles début XVIII ème).



Le placage


          On constate l'emploi, dans les deux cas, d'un placage uni, d'ailleurs d'une grande beauté et qualité d'amarante chenillée, dont la couleur est un peu foncée pour la commode de numéro 6 et de palissandre ronceux avec de nombreuses veines d'un blanc-roux pour l'autre. La restauration de ce second meuble a fait apparaître, lors de la dépose du placage de palissandre, une épaisseur de trois à quatre millimètres par endroit, ce qui est tout à fait exceptionnel et prouve la volonté de solidité voulue par l'ébéniste et l'inexistence de restaurations abusives. L'emploi de placage uni illustre la désaffection apparue après 1715 pour les meubles en marqueterie d'écaillé, d'ébène et de métal.



La fonte et la ciselure


          Si la fonte est très tirée, en raison de la cherté de la matière à l'époque, la ciselure, elle, apparaît grasse et puissante : les coups d'outils gras traduisent bien la facture de l'époque, contrairement à la ciselure Louis XV et même postérieure, beaucoup plus achevée, voire mièvre. Typique de la même époque, est la ciselure dite au "grain de sable" employée dans les fonds de certains bronzes (chutes et cadres de la commode numéro 1 ; plaques à mosaïques sur l'autre). Cette technique consiste à amatir, avec un burin denté, les fonds de la sculpture ; elle est employée surtout sous Louis XIV et la Régence ; les fondeurs abandonnèrent ultérieurement ce procédé en raison du perfectionnement de leurs outils servant à réparer les bronzes.



La serrurerie


          Celle de la commode numéro 2 a ceci de singulier : au lieu d'utiliser la technique habituelle du cylindre creux avec une butée inférieure pour actionner le pêne, l'ébéniste a utilisé un canon conique de forme triangulaire pour actionner le pêne. Emprunté à l'horlogerie, ce procédé, au demeurant fort simple, se retrouve sur certaines tables consoles en marqueterie attribuées à André Charles Boulle. Il serait intéressant de mener des recherches sur des archives à propos de cette technique, ou de retrouver d'autres meubles utilisant le même procédé de serrurerie. Elle se retrouve d'ailleurs sur certains très beaux meubles Louis XVI.




Le tombeau renversé


          Cette commode, adopte un profil tombeau qu'on pourrait qualifier "d'inversé" par rapport aux trois exemples précédents. L'ébéniste a construit cette commode en adoptant un profil exactement contraire aux commodes illustrées aux numéros 1 et 2 : ligne resserrée par en haut, et très ventrue par en bas.



Commode en tombeau renversé en placage d'acajou, d'écaille rouge marqueté de cuivre et de nacre
Commode en tombeau renversé en placage d'acajou,
d'écaille rouge marqueté de cuivre et de nacre


Particularité de construction du bâti


          Le bâti, construit en sapin, présente à l'arrière une différence fondamentale par rapport aux commodes précédentes. Au lieu d'être en retrait et rectiligne, l'ébéniste a conçu un bâti arrière symétrique à celui de la façade.



Détail du profil du bâti de la commode en tombeau renversé
Détail du profil du bâti de la commode en tombeau renversé


          Le socle est en partie rapporté. Ce meuble constitue un prototype de commode dite "en bureau" apparue vers 1708-1710, dont la caractéristique repose sur son profil très galbé au plan vertical.




Les commodes tombeaux à pont



Deux exemples caractéristiques


          Bien que rien n'ait été trouvé dans des inventaires ou autres documents sur ce type de meubles, certains historiens d'art ou antiquaires considèrent qu'il faut voir dans ces meubles les bureaux ou "commodes en bureaux" dont il est souvent question dans les inventaires ou les comptes des Bâtiments du Roy du premier quart du XVIII ème siècle. Au lieu d'avoir trois ou quatre rangées de tiroirs pleines, la commode présente une rangée inférieure divisée en trois parties, dont la médiane est vide, d'où l'appellation imagée de "pont".



Commode tombeau à pont estampillée E. Doirat en bois de violette à trois rangées de tiroirs
Commode tombeau à pont estampillée E. Doirat
en bois de violette à trois rangées de tiroirs


L'examen de l'ébénisterie et du bâti


          Les bois employés quant au bâti n'appellent pas d'observation spéciale :

- les tiroirs latéraux, de part et d'autre du pont, ont une découpe qui épouse la forme de ce dernier.



Le montage des tiroirs de part et d'autre du pont de la commode
Le montage des tiroirs de part et d'autre du pont de la commode


- le "pont" se construit comme une véritable petite arche qui peut être recouverte de placage dans sa partie concave. Si cette arche n'existait pas et laissait apparente la traverse du tiroir, ce pourrait être signe d'une transformation ultérieure. On retrouve ce système de construction en arche sur des bureaux plats contemporains appelés communément "à caisson".



La construction de l'arche formant le pont
La construction de l'arche formant le pont


- les tiroirs peuvent venir en butée sur la traverse, ou s'aligner parfaitement, signe d'un montage plus soigné.



Deux techniques de positionnment des tiroirs par rapport à la traverse
Deux techniques de positionnment des tiroirs
par rapport à la traverse


Les commodes à pont : variantes de construction


          Une variante présente un tiroir à la place du vide qui caractérisait les meubles précédents. En général, ce troisième tiroir se situe en retrait par rapport aux deux tiroirs latéraux et est encadré de larges entrejambes de bronzes à décor de godrons. Parfois, le troisième tiroir en retrait est remplacé par une partie dormante ornée d'un bronze, ou encore les trois tiroirs apparents de cette rangée inférieure n'en forment en fait qu'un seul comme sur cette commode :



Commode tombeau à pont en bois de violette à quatre rangs de tiroirs
Commode tombeau à pont en bois de violette à quatre rangs de tiroirs


en effet, outre les godrons, on pourra constater que le pont a été conçu comme pour placer un tiroir au centre qui cependant ne semble avoir jamais existé. Le vide médian ne dessine pas, entre les deux tiroirs, une arche pleine mais qui s'interrompt pour laisser apparaître la traverse du tiroir médian. Le profil raide de cette commode présente des similitudes avec les bureaux plats attribués à Noël Gérard par Alexandre Pradère. Ce décrochement est comparable à celui figurant sur les pattes d'un bureau illustré sur le dessin de Gilles Marie Oppenordt. La construction du bâti arrière de cette commode est similaire à celle de la commode tombeau illustrée au numéro 2, avec de grandes planches de sapin s'emboîtant perpendiculairement en retrait dans les deux montants verticaux en noyer. Le placage des trois meubles est en bois de violette disposé en chevron. On remarquera la qualité très ronceuse du placage de la commode, dont le plateau marqueté, d'une grande originalité, tire au maximum profit des contrastes du bois.



Plateau marqueté
Plateau marqueté


Le répertoire des bronzes


          Les chutes de la commode ci-dessus, se retrouvent sur de nombreux meubles contemporains. Il en est de même des poignées et des entrées de serrures, dont le modèle est peu courant mais proche, pour les masques ornés de palmettes, du répertoire de Jean 1 er Berain. Puissent ces quelques beaux exemples de commodes tombeaux faire non seulement découvrir et étudier ces meubles encore trop mal appréciés des professionnels et des collectionneurs, mais aussi montrer quels sont les critères de qualité de ce type de commodes :

- formes originales et inventives, même si elles sont parfois lourdes ;

- hauteur du galbe dans le profil du meuble ;

- rareté et beauté de certains types de placages qui ne seront plus employés après 1740 (amarante chenillée, palissandre ronceux, certains satinés rouges...) ;

- beauté des bronzes à la ciselure ample et grasse, la caractéristique de cette époque est inimitable.



Plateau marqueté
Plateau marqueté


Commode tombeau estampillée N. B
Commode tombeau estampillée N. B


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